Le faux self (concept de Winnicott, psychiatre britannique) se met en place lors de la construction de la personnalité. Cette structure psychologique s'élabore comme un kit de survie relationnel et affectif, par réaction à un environnement perçu comme contraignant et hostile.
Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr
L'impossibilité d'être soi
Le sujet se conforme aux attentes extérieures, à commencer par celles de ses parents qui, de manière plus ou moins insidieuse ou tyrannique, ont pu imposer leurs choix et le contraindre à se
soumettre à un rôle.
La mère de Chloé n'ayant pu réaliser son rêve, elle a imposé à sa fille de l'assumer : délaissant les distractions et les amitiés de son âge, Chloé a passé sa jeunesse à répéter ses gammes en
compagnie de professeurs particuliers. Ses aptitudes naturelles ne la portant pas à être une grande pianiste, elle a redoublé d'efforts pour être performante et garder l'amour de sa mère, au
détriment de ses penchants pour l'archéologie. Aujourd'hui professeur de piano, sa mère décédée depuis plusieurs années, elle est en souffrance car son existence lui semble vaine. L'adaptation de
Chloé, par une personnalité factice, à un monde qui ne lui correspond pas a asphyxié son véritable tempérament. Dans un repli autistique, solitaire et perdue, ne sachant être autrement que la
vitrine des désirs maternels, elle s'empêche de se confronter à ses besoins.
L'identité, bâillonnée, reste sous le contrôle du faux self, par peur du rejet ou de l'incompréhension. Le prix à payer est une quête de perfection, le déni de ses émotions et de ses pulsions
(agressivité, sexualité, etc), des relations empreintes de honte et de culpabilité. Lorsqu'on ne se donne pas le droit d'être soi-même, le sentiment d'imposture génère colère, anxiété et
dépression.
Tom a un QI élevé, il se sent différent et ne trouve pas sa place. Enfant et adolescent, lorsqu'il essayait d'être lui-même, son humour et ses réflexions n'étaient pas saisis et provoquaient
un moment de gêne. Avec les années, le faux self a étouffé sa nature profonde et Tom s'est appliqué à devenir brillant et à recevoir des encouragements. Sa souffrance, imperceptible, n'en est pas
moins réelle et s'accroît au fil de ses succès professionnels. Il redoute de perdre la considération des autres à mesure que son sentiment de « fausseté » augmente. En société, il lui arrive de
plus en plus souvent de « décrocher », avec l'impression d'être pris pour ce qu'il n'est pas. Timide, il déplore une vie affective inexistante, tout en se sentant inapte à recevoir de l'amour.
Ses tensions intérieures s'intensifiant, il multiplie les épisodes dépressifs et développe des maux psychosomatiques.
Identité falsifiée
Les rapports entre « vrai » et « faux » self évoluent selon les âges et les besoins d'adaptation à l'environnement. Selon les circonstances et les interlocuteurs, on peut se montrer poli, jovial
ou exubérant. Le degré d'affirmation de soi est variable. Caméléon social, le sujet sait compartimenter ses relations et modifier son comportement pour qu'il soit compatible avec autrui. Sorte de
miroir sans tain, il développe une personnalité d'emprunt et calque sa manière d'être (postures, expressions) sur celle des autres. Comment créer des liens profonds et sincères lorsque ce
reniement de soi amène à penser qu'on est apprécié pour le reflet d'autrui que l'on renvoie ? À force de se dissimuler et d'endosser un faux self, l'individu est en proie à un sentiment de
dépersonnalisation.
Un moi artificiel en mode « pilote automatique » conduit le sujet à se construire sur des scénarios de vie qui ne sont pas les siens. Spectateur de sa propre vie, détaché de ses émotions,
flirtant avec une apathie chronique, la personne n'a pas la pleine conscience de son identité et de son intimité, sa carapace lui donne l'impression de ne pas vraiment exister. Le faux self ne
permettant pas la pensée personnelle, les ressentis et expériences apparaissent comme irréels. Cette distorsion psychique peut être source de névrose, de suicide, etc.
Pour satisfaire une mère rigide et conformiste, Marcel a été un petit garçon modèle. Adulte, occupant un poste à responsabilités, Marcel a besoin d'être hyperactif, d'en faire toujours plus,
pour avoir le sentiment d'avoir de la valeur et d'être accepté. L'image qu'il a de lui-même est subordonnée à sa réussite sociale. Marcel veut en permanence évoluer et progresser, ils ne sent
jamais rassuré ni satisfait de ses résultats, son dévouement pour son entreprise le mène au burn out. De retour auprès de sa femme et ses enfants, il se sent vidé de toute énergie et alterne
entre tristesse et irritabilité.
Discrète et agréable, Béatrice (la sœur de Marcel), chef de bureau, se sent fissurée en dedans. S'étant toute son enfance sentie sur la brèche face aux exigences maternelles, elle pense
n'avoir jamais obtenu cet amour conditionnel. Repliée sur elle-même, détestant se faire remarquer et ayant renoncé à se penser aimable, elle alimente une autodépréciation qui empêche
l'attachement. Béatrice s'isole pour éviter les relations sociales et sentimentales, forcément empreintes de fausseté : elle ne peut se résoudre à abandonner sa façade, à se montrer telle qu'elle
est réellement.
Sur les pas d'un autre : remise en cause et crise identitaire
Entravé par un faux self qui coupe de soi, du monde et des autres, habité par la nostalgie inconsciente de l'amour et de la valorisation qu'il n'a pas reçu enfant, le sujet continue (d'une façon
ou d'une autre) à être ce que son parent voulait qu'il soit. Il agit pour plaire, empreint d'un manque affectif qui lui donne à croire qu'il s'est senti accepté pour ce qu'il faisait et non pour
ce qu'il était.
Yanis voulait faire les Beaux-Arts, mais ses parents se sont assurés de le ramener sur le bon chemin : il est devenu médecin pour être conforme à leurs attentes. Il se sent coincé dans une
voie qu'on a choisi pour lui. Inhibé, ne sachant pas qui il est, il s'estime inconsistant et vivant à côté de lui-même. Respectant les conventions, Yanis se comporte comme il faut sans jamais
sortir du cadre, il adopte un comportement visant à satisfaire l'autre (avec lequel il établit un contact limité), bien au-delà du vernis social des bonnes manières et d'une aptitude à s'intégrer
au groupe. En retour, par le renoncement à ses désirs, il obtient la tranquillité qui le rassure.
Sacrifiant la véritable identité, le faux self met en place une personnalité distanciée, apte à se plier à un mode d'emploi socio-relationnel. Porté en permanence, ce masque est telle une
seconde peau et devient un piège qui se referme sur le sujet, emmuré dans l'impossibilité de baisser sa garde. Le sentiment d'être ayant été refoulé au profit d'un faux self ancré en soi, on se
retrouve sans balise pour raisonner et faire des choix. L'environnement est vécu comme un décor de théâtre (au milieu duquel on s'applique à penser comme les autres et à dire ce qu'il
veulent entendre), la difficulté est alors de se reconstruire sans pouvoir se référer au passé.
En découvrant qu'il est haut potentiel (surdoué), Aurèle a pu trouver des réponses à ses interrogations. Il a pris conscience d'un fonctionnement intellectuel différent et a voulu explorer
les sentiment de tristesse et de colère que cela éveillait en lui. Sa vision du monde a changé lorsqu'il a mesuré avoir pris à son compte la façon d'être de ses parents (intransigeants,
dédaigneux). Auparavant, jaugé, Aurèle considérait que son opinion ne valait rien et, à trop se mésestimer et s'effacer, il avait la sensation d'être transparent. L'année qui a suivi son test de
QI, il a quitté sa ville d'origine. Reconverti professionnellement, il reste sporadiquement sous l'emprise de ses parents : à chacune de leur visite, il se sent ramollir et les laisse prendre sa
maison en charge, mais il réussit à ne plus se faire reprendre sur l'éducation de ses enfants et à s'imposer en tant que père.
« Deviens celui que tu es » (Nietzsche)
La reconquête de soi s'appuie sur la compréhension des artifices et dysfonctionnements comportementaux mis en place comme mécanismes de défense. Se défaire du faux-self, c'est s'affranchir de
contraintes extérieures intégrées comme siennes, d'une pression sociale et/ou familiale inhibant toute individualité. Il s'agit d'apprendre, sciemment, à adopter la bonne attitude sans se faire
déborder, à être en adéquation avec qui l'on est pour s'ajuster (ni trop ni pas assez) selon les situations, sans se camoufler derrière un faux self masquant des difficultés de
positionnement.
À l'aide de quelques séances de thérapie, l'individu met un terme au conflit interne qui le déchire lorsque le faux self domine son vrai moi. La découverte de soi passe par l'exploration de son
fonctionnement émotionnel, pour (re)trouver un état dans lequel on a suffisamment confiance en soi et en son environnement pour s'accepter tel qu'on est, et se permettre d'être authentique.
En retrouvant une spontanéité, des émotions interdites et refoulées, on ressent des désirs nous appartenant en propre. Conscient de sa valeur, de ce qu'on veut ou pas, de ses besoins et de ses
failles, mais aussi de ne pas avoir à plaire à tout le monde, on s'autorise à demander de l'aide et à s'exprimer sans crainte du rejet ou du jugement. L'estime de soi s'enracinant dans l'écoute
et le respect de soi, le faux self laisse alors place à un sentiment de sécurité et de paix intérieure, à la bienveillance et la disponibilité, à une volonté d'épanouissement.
Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr
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