« … j'ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n'était que vos pas. »
(Paul Valéry)
Qu'est-ce que la dépendance affective ?
Le dépendant affectif investi l'autre (idéalisé et mis sur un piédestal) du pouvoir de soulager ses souffrances et d'assurer son bonheur.
Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr
Son exigence s'avère insatiable : il ne se sent jamais assez aimé ou rassuré, une absence ou un mot mal interprété ravive sa hantise de l'abandon. La peur (de déplaire, d'être mal jugé)
gouvernant sa façon d'interagir avec les autres, les angoisses deviennent son lot quasi quotidien et il se retrouve désemparé si l'autre cesse de lui accorder toute son attention.
Des signes de dépendance affective :
- emballement et attachement excessif, incapacité à se sentir heureux seul
- besoin de plaire et reniement de soi
- manque de confiance en soi, peur de l'abandon et besoin d'être rassuré
- obsession de l'autre, jalousie et possessivité
- tendance à attirer des pervers narcissiques, des partenaires indisponibles ou distants, à accepter des situations malsaines
- après une rupture, tendance dépressive ou à enchaîner les relations sentimentales
Les racines de la dépendance affective
Une carence affective précoce peut préparer le terrain de la dépendance, engendrer la peur de ne pas être aimé et reconnu pour ses particularités. L'enfant qui n'est pas valorisé et traité avec
bienveillance ne se développe pas harmonieusement, une image de soi erronée s'élaborant sur le sentiment d'un droit d'exister précaire.
Enfant, le dépendant affectif a pu intégrer qu'il fallait se conformer aux désirs de ses parents (ou d'autres adultes référents) pour être accepté d'eux. Le fait de ne pas s'être perçu comme
ayant de la valeur peut conduire l'adulte à ne pas se sentir à la hauteur, à redouter le rejet. Imprégnés de cette programmation intérieure, certains enfouissent leurs besoins et dissimulent
leurs affects pour répondre aux attentes de l'autre, en quête de son approbation, pour s'assurer leur dose d'amour. Adultes, n'ayant pas fait le deuil de leurs blessures, continuant d'avoir des
besoins affectifs à satisfaire, ils peuvent s'accrocher à l'idée que l'autre comblera leurs manques. En quête d'une preuve ultime de son importance, le dépendant affectif se convainc que les
marques de considération de l'autre apaiseront son mal-être. Pour plaire, il adopte un comportement conforme à ce qu'il imagine qu'on attend de lui.
Pour mériter quelques marques de tendresse d'un père sévère et froid, Olivier a endossé le rôle de l'enfant adapté : il a choisi d'être un gentil garçon. Adulte, il perpétue cette
stratégie pour atteindre le même objectif : être « validé ». Docile et accommodant, il fuit le conflit et ne se fâche jamais, se faisant discret pour ne pas déranger.
Guérir de ses déceptions sentimentales
Celui qui a été déçu, trahi ou manipulé, sera enclin à douter de la sincérité des sentiments des autres. Par une sorte de transfert, il assimile une relation passée, douloureuse, avec celle qu'il
vit. Les preuves d'intérêt, d'amitié ou d'amour données ne suffisent pas à faire taire ses inquiétudes.
Parce que son mari l'a trompée puis quittée, Anissa cherche à susciter le désir masculin et répète les échecs sentimentaux comme un cercle vicieux. Son besoin d'être rassurée tourne au
harcèlement. Dépassée par des comportements compulsifs, elle ne peut s'empêcher de multiplier les envois de photos avec des tenues affriolantes, en attente de compliments et d'un reflet positif
d'elle-même. Se sentant étouffé par cet amour cannibale, et impuissant à la sécuriser, son partenaire finit par rompre.
Induite par une estime de soi déficiente, la confiance altérée en l'autre peut se traduire par une jalousie excessive et un besoin de contrôler la relation. En se persuadant que l'autre ne tient
pas vraiment à lui, le dépendant affectif va vouloir en chercher les raisons, et en déduire qu'il est responsable du manque de considération ressenti. Tout en revendiquant le droit à l'amour, il
en arrive à saboter la relation, dramatisée et perturbée par son anxiété constante qui provoque la rupture tant redoutée.
De l'amour à la dépendance
« Qu'est-ce que je vais devenir sans toi ? Tu es ma raison de vivre. Sans toi, je ne suis rien. »
L'amour est confondu avec un attachement excessif lorsque l'on fait de son partenaire une béquille psychologique. La relation reflète alors un besoin de reconnaissance, des carences affectives et
des souffrances antérieures. Le dépendant a tendance à vite se projeter dans un avenir avec l'autre, sans avoir pris le temps de le connaître ou de s'assurer de son ressenti, se persuadant qu'il
finira par répondre à ses attentes. Cette imagination débordante se transforme en impatience, déception, sentiment de trahison et d'incompréhension lorsque l'autre s'oppose à ses desseins. Ne
parvenant pas à se dégager d'une attente permanente de l'autre (d'un coup de fil, d'un geste ou mot rassurant), le dépendant ne supporte pas que celui-ci se donne le droit d'exister sans lui
(puisque l'inverse est vrai). Lors d'une absence, il suspend son souffle pour ressentir manque, frustration, difficulté à se concentrer sur autre chose. Le moindre signe d'indépendance
génère émotions négatives et profonde angoisse. Intéressé et égoïste, l'amour est alors dicté par la peur du rejet ou le besoin de sécurité, la fonction de l'autre étant de pallier un manque
affectif.
Comment aimer une personne pour elle-même, et non pour ce qu'elle nous apporte, lorsqu'on ne s'est pas senti accepté durant les années où notre personnalité s'est construite ? Celui qui,
enfant, a été nourri d'un amour inconditionnel ne cherche pas, affamé d'amour, à être rassasié par son partenaire.
Étant désigné comme notre sauveur, l'autre est tenu pour garant d'un bonheur qui ne nous appartient plus, et devient de même responsable de nos souffrances. Être dans la dépendance affective,
c'est adopter une attitude passive face à des besoins considérés comme illégitimes, et espérer que l'autre les assouvisse ou les devine. Immaturité affective et hypersensibilité au sens de sa
valeur conduisent la personne à attendre, dans une position infantile, que l'autre prenne soin d'elle, voire qu'il la prenne en charge. Il est alors à l'image du nourrisson qui (à défaut
d'autonomie et de pouvoir verbaliser ses besoins) dépend de son entourage pour être alimenté, changé, réconforté.
Face à la déception de ne pas avoir été décodé et compris, face aux comportements insatisfaisants de l'autre, le dépendant affectif peut lui trouver des excuses, minimiser les faits et être dans
le déni, l'auto-culpabilisation, ressentir de la honte, de la colère, voire de la rancœur ou du désespoir.
Mise en quarantaine par des proches pour lesquels elle s'est coupée en quatre, Sabrina se répète avec amertume : « après tout ce que j'ai fait pour eux ». Ce qu'elle ne sait
pas se donner, Léna le donne ou le demande à l'autre.
« On accepte l'amour que l'on croit mériter »
La dépendance affective entretient une perception négative de soi, le sentiment de ne pas avoir de pouvoir sur sa vie. Cette conquête du droit à l'existence est d'autant plus stérile que le
renoncement à être soi, en se conformant à un modèle extérieur (celui d'un conjoint, d'amis, de la famille), ne procure pas la restauration de l'estime de soi recherchée. Les tactiques pour être
aimé s'avèrent infructueuses puisque l'on se considère comme indigne d'intérêt : considérant que nul ne devrait s'intéresser à nous, seule une erreur de jugement de l'autre paraît justifier
que nous retenions son attention. Convaincu de cette imposture, comment recevoir de l'amour en vivant dans la crainte que l'autre s'en rende compte ?
À vouloir plaire et être aimé à tout prix, en se mettant au service de l'autre, on s'épuise et on en oublie de s'aimer soi-même. L'amour ce n'est pas tout accepter de son partenaire. S'aimer
c'est aussi s'affirmer et oser dire non, faire des requêtes claires, poser des limites, prendre sa place, se défendre, exprimer son opinion. Savoir donner et recevoir, refuser et demander, c'est
s'autoriser à avoir de la considération pour soi. Mais il ne s'agit pas d'exiger, l'autre reste libre de répondre à nos demandes, d'autant mieux formulées que nous assumons nos besoins. Une
relation saine et nutritive est basée sur l'entente et le dialogue, et apporte de la joie. Il ne s'agit pas d'être un mendiant de l'amour, ni de dévorer l'autre ou chercher (consciemment ou non)
à le décourager.
La dépendance affective, ou l'aliénation de soi comme mode de vie
À force de banaliser ses émotions (colère, tristesse...) et de soustraire son propre jugement à celui d'autrui, le dépendant affectif s'abstient d'être lui-même, occultant et minimisant ses
besoins, ne se donnant pas la permission de les assouvir. Cette stratégie pour exorciser sa hantise du rejet lui fait perdre de son authenticité. Effrayé par le contact avec ses ressentis, il ne
s'accorde pas assez d'importance pour vouloir s'y arrêter et étouffe sa véritable personnalité. Cet évitement fondé sur le reniement de son identité conduit à la souffrance : s'appliquer à
être aimé pour ce que l'on fait, et non pour qui l'on est, alimente une faible estime de soi.
Comment réussir à communiquer, instaurer une relation d'intimité vraie et nourrir le besoin d'être aimé tout en camouflant les enjeux fondamentaux de la relation ? En voulant faire de l'autre la
moitié qui confirmera sa valeur et lui fera oublier qu'il n'est que la moitié de lui-même, le dépendant a une responsabilité dans l'inconfort psychologique mis en place. L'idée que l'amour
véritable consiste à aimer l'autre plus que soi-même peut parfois donner le sentiment de ne pas être dans la dépendance affective, l'intensité des émotions ressenties procurant l'adrénaline et le
frisson qui permettent de combler un vide intérieur.
La récurrence de comportements dysfonctionnels (efforts, soumission ou abnégation) génère une fatigue émotionnelle, une usure nerveuse qui donnent lieu à des schémas relationnels menant à
l'impasse, l'autre ne pouvant que finir par frustrer des attentes infinies.
Sortir de la dépendance affective
Lorsqu'une relation fait souffrir et s'inscrit dans un syndrome de répétition, cela peut dénoter une tendance à rechercher des situations émotionnelles vécues dans le passé. La poursuite
inconsciente de conflits relationnels permet à la personne, par exemple, d'exprimer une colère refoulée contre un proche. Le « choix » d'une dépendance affective trouve alors son
origine dans une expérience où l'affirmation de soi a été réprimée. Apprendre à se déconditionner de sentiments d'insécurité et à développer la confiance en soi pourra permettre d'envisager un
autre mode de fonctionnement.
Repérer et réparer des croyances négatives sur soi, sur les autres ou sur le monde en général (« Je suis nul, méchant, quelque chose ne va pas chez moi, je dois être parfait pour être aimé,
dans la vie on ne peut pas..., les hommes/femmes sont tou(te)s… »), autorise le dépendant à accepter et à dépasser la souffrance enfouie en lui. Un travail thérapeutique pourra consister à être
en accord avec ses propres valeurs, à apprivoiser ses insatisfactions affectives et à donner des solutions saines pour y répondre.
Lola ne s'est jamais aimée, elle a une mauvaise opinion d'elle-même. Simon s'intéressant à elle, la couvrant de cadeaux, Lola succombe aussitôt et ne vit que pour lui plaire. Mais lorsque
celui-ci décide de mettre un terme à leur liaison, il remplace l'image d'une femme séduisante par celle d'une personne sans intérêt. Parce que sa perception d'elle-même est négative, Lola a donné
à Simon le pouvoir de la rendre heureuse ou malheureuse.
Sa partie « enfant » contaminant sa partie « adulte », le dépendant réagit dans l'excès s'il n'est pas au centre de l'attention de l'autre (ses blessures narcissiques étant
réactivées par la frustration, la déception, la trahison, le mensonge ou l'indifférence). Nous avons tous besoin d'amour et de reconnaissance, mais la dépendance affective est un frein à des
relations saines et équilibrées. Un travail sur soi peut donner les clés pour s'attacher à identifier et respecter ses besoins, à prendre conscience de ce qui est important pour soi, et sortir
d'un scénario inhibant toute velléité d'autonomie. À l'aise avec ses émotions (auparavant refoulées) et celles des autres, on sent qu'on a la liberté d'être soi-même, d'agir en fonction de ses
désirs plutôt que de ses peurs. La rencontre de l'autre prend alors une toute autre dimension.
Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr
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